Nova et Vetera, n. 90, 4 / 2015

 

Vertus sociales et sens de Dieu en saint Thomas d’Aquin

Serge Thomas Bonino OP

Dans la Somme de théologie (IIa-IIae, q. 81-105), les vertus de vénération (religion à l’égard du Créateur, piété à l’égard des parents, déférence à l’égard des supérieurs) font système. Elles s’éclairent mutuellement. Dans cette perspective, les vertus sociales de piété et de déférence (observantia), qui s’adressent à des "transcendances" immanentes à la société, constituent le terrain sur lequel peut germer et s’affermir le sens de Dieu. En récusant le parallélisme ontologico-théologico-politique et tout principe hiérarchique, la modernité semble fermer ce chemin vers Dieu. Pourtant, certaines formes structurelles de transcendance immanente demeurent qui continuent de pointer vers la transcendance absolue de Dieu.

 

La réforme des procès en nullité de mariage en Droit canonique latin

Philippe Toxé OP

Par deux Motu Proprio qui entrent en vigueur le 8 décembre 2015, le pape François a modifié les normes des Codes latin et oriental régissant le procès canonique en nullité de mariage. Le Motu Proprio Mitis Iudex Dominus Iesus réforme les canons 1671-1691 du Code latin, pour favoriser l’accès des justiciables aux tribunaux et la célérité des procès. Un accueil des divorcés  avec une enquête pré-judiciaire doit être organisé dans les diocèses. Le collège des juges de première instance pourra être composé de deux laïcs et d’un clerc ; en cas d’impossibilité, l’évêque peut confier les causes à un juge unique clerc. Un procès plus bref dont le jugement est confié à l’évêque diocésain pourra être décidé par l’Official si les deux époux sont d’accord pour demander la nullité et si la preuve de celle-ci est évidente dès le début du procès. Un jugement déclarant la nullité du mariage n’a plus besoin d’être confirmé par une deuxième décision, mais devient exécutoire une fois passé le délai d’appel. La réforme a suscité quelques craintes. Ceux qui doivent appliquer la loi devront le faire avec le sérieux que commande le respect du principe de l’indissolubilité du mariage.

 

Kant et la religion

François-Xavier Putallaz

La laïcité fait souvent référence à la pensée de Kant. Celui-ci aurait été un artisan d’une sécularisation de la religion. C’est pourquoi une lecture attentive de La religion dans les limites de la simple raison, un livre de 1793, est aujourd’hui d’une grande actualité. En traversant quelques grandes intuitions de l’ouvrage, on y découvre la différence entre le vrai culte et le faux culte : le critère est ultimement celui de la raison, et de la raison pratique ou de la morale. L’important consiste à agir par devoir, le plus droitement possible, et à espérer que Dieu récompensera nos efforts dans une vie qui, peut-être, lui aura été agréable. "Aide-toi et espère que le Ciel t’aidera !" pourrait résumer l’esprit du livre, où finalement toute l’initiative revient à l’homme. Le vrai culte est celui qui conduit à devenir meilleur, à obéir au devoir comme à un commandement de Dieu. L’article met en lumière quelques présupposés de cette pensée majeure.

 

Poèmes

Véronique Dufief

L’auteur propose en ces pages quelques poèmes en avant-première de son livre La Main du temps qui paraîtra en février 2016 : "Forêt de pierre", "La voix pure", "Nocturne", "Credo ergo sum".

 

La réconciliation. Le dernier tome du Traité des sacrements de Jean-Philippe Revel

Gilles Emery OP

Le Traité des sacrements de Jean‑Philippe Revel, qui demeurera inachevé, s’est conclu par un cinquième tome consacré au sacrement de la réconciliation (La Réconciliation, "Traité des Sacrements, Tome V", Paris, Éditions du Cerf, 2015, 374 p.). L’article présente ce livre et en discute certaines thèses. La première partie de l’ouvrage offre une très belle approche biblique et théologique, centrée sur l’initiative miséricordieuse du Dieu d’Amour qui pardonne les pécheurs dans le cadre de l’Alliance qu’il a lui-même nouée avec les hommes. J.‑Ph. Revel développe ici une très belle "ontologie de l’Alliance" qui éclaire le sens de la faute et du pardon. L’auteur souligne également la nouveauté que le pardon sacramentel procure au pécheur converti. La seconde partie traite l’histoire et la structure du sacrement de pénitence, en offrant des propositions pour mettre en valeur la dimension communautaire de ce sacrement. Certaines thèses de J.‑Ph. Revel sur les moyens de mettre en valeur cette dimension ecclésiale, sur la place des actes du pénitent dans la constitution du signe sacramentel, ainsi que sur la contrition, la "pénitence intérieure" et le "res et sacramentum" de ce sacrement, font l’objet d’une discussion critique.

 

La violence attribuée à Dieu dans la Bible. Une esquisse de théologie de l’Écriture Sainte

Adrian Schenker OP

Plusieurs passages de l’Ancien Testament semblent confirmer l’impression que Dieu invite des hommes à la violence contre leurs semblables. L’article offre une clé de lecture de ces textes au moyen d’une théologie de l’Écriture Sainte qui tient compte de l’historicité des textes bibliques (marqués aussi par la personnalité de leurs auteurs humains), par le progrès de la Révélation, et en particulier par les "correctifs" que l’Écriture Sainte elle-même apporte pour saisir ces textes (le salut ne s’accomplit pas par des hommes qui exercent la violence mais qui acceptent de souffrir pour le Seigneur). Le judaïsme rabbinique, aux premiers siècles de notre ère, a développé une orientation de lecture des textes bibliques (Mishna, Talmuds). De leur côté, les auteurs du Nouveau Testament ont apporté une interprétation de l’Ancien Testament à la lumière de la foi nouvelle en Jésus Christ et selon les exigences qu’entraîne cette foi. Suivant ces éléments, les passages de l’Ancien Testament dans lesquels Dieu appelle des hommes à la violence envers d’autres hommes sont reçus dans la communauté croyante non pas au sens littéral strict (à la lettre) mais en un sens transposé, adapté, qui montre que le Seigneur sauvera ceux qui ont subi l’injustice et récompensera ceux qui lui sont restés fidèles à travers épreuves et souffrances, tout en rappelant la gravité des fautes que les hommes peuvent commettre, et la gravité des peines que ces fautes peuvent entraîner.

 



Notes et Lectures 

 

Une seule chair en un seul esprit. Théologie du mariage

Sr Alexandra Diriart

L’article présente le livre de José Granados, Una sola carne in un solo spirito. Teologia del matrimonio (Cantagalli, Siena 2014) qui offre une ample et profonde étude aussi bien doctrinale, que théologique et pastorale sur le sacrement de mariage. En effet, cet ouvrage, d’une part, recueille et creuse tous les éléments classiques d’un traité complet sur le sacrement de mariage, reprenant le parcours historique de la formation du sacrement de mariage et introduisant dans la richesse de la Tradition. D’autre part, il embrasse avec grande profondeur tous ces éléments jusqu’à conduire l’esprit à une vraie contemplation du Mystère du mariage dans son lien aux Mystères de la foi. Puisque la foi chrétienne est révélation de l’amour de Dieu dans le Christ, alors le mariage, sacrement de l’amour, constitue un lieu charnière de révélation de la foi. Granados le montre tout particulièrement en relisant le mariage à la lumière de la sacramentalité originaire du corps, de son rôle clés dans la compréhension de l’économie sacramentelle, mais aussi à partir du Mystère christologique et du Mystère de l’Église.

 

Bibliographie

Ernest-Bernard Allo ‑ Charles Journet, Correspondance ‑ Samuele Pinna, Meditazioni sul Concilio. Una lettura del Vaticano II con Benedetto XVI ‑ Reynal Sorel, Dictionnaire du paganisme grec. Notions et débats autour de l’époque classique ‑ Thierry-Dominique Humbrecht, o.p., Éloge de l’action politique ‑ Monique Vénuat et Christian Jérémie (dir.), L’Éloquence ecclésiastique de la pré-Réforme aux Lumières ‑ Pierre Lombard, Les Quatre Livres des Sentences, Troisième et Quatrième Livres ‑ Pierre Riché, Les combats de l’Église au Moyen Âge ‑ Éric Palazzo, L’invention chrétienne des cinq sens dans la liturgie et l’art du Moyen Âge.

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